fiction de Guillaume Fayard sur Bande passante
Une fiction de Guillaume Fayard
élaborée à partir de la proposition chorégraphique de
Bande passante
sortir de chez soi, porter les bouteilles,
bruit du sac frotté, bruit des verres s'entrechoquant
différentes qualités de verre, le bruit des pas, marqué, ce qui reste en mémoire,
voir, ce qui peut revenir,
différentes couleurs,
la circulation des couleurs dans le temps écoulé, ce qui vient s'installer, il y a un groupe de gens qui parlent,
boire, fumer, manger,
parler, manger dans des assiettes, manger avec les doigts, au restaurant,
boire, sur un coin de table, regarder les gens, les possibilités, les différentes façons dont on peut manger en fonction des gens qui vous accompagnent, les images de repas disponibles en mémoire et qui viennent à l'esprit quand revient cette question de parler, manger, fumer, cette question des repas,
garder les bouteilles,
poser la bouteille à chaque fois qu'une nouvelle bouteille,
se vide,
dans l'angle de la pièce,
dans l'angle de la pièce, l'ensemble « bouteilles » grossit lentement à proximité de la table vide, à mesure que les gens s'éloignent, la table où viennent les gens
la table où viennent les gens par opposition à la table où ils ne viennent pas, dans une autre pièce, recouverte d'objets à usage personnel,
ce sont des papiers, ce n'est pas une table où circulent des gestes autour de repas, c'est une table où des gestes sont projetés dans un autre espace,
je suis à cette table,
partir revenir repartir venir, comme les images d'un film en vitesse accélérée, il y a une circulation boire, parler, manger, et autour les bouteilles qui restent, la série des bouteilles plus tard comme un reste à une équation, différentes qualités de verre,
et le lendemain, porter les bouteilles au verre,
pull vert, sac bleu, pantalon mauve,
la façon dont marche l'ensemble donné « pull-vert-sac-bleu-pantalon-mauve » vers le passage piéton, pas loin du lampadaire, il y a un rythme, après que la personne aie disparue à l'angle de la rue, quelque chose reste un peu du rythme de cette marche, c'est une latence,
persistance rétinienne, persistance à l'oreille, un reste à quelque chose et un pantalon mauve, dans la proximité du lampadaire, vert et bleu qui s'enfoncent dans l'angle, je remarque une ceinture, une délimitation, qui fait le tour, qui contourne le buste, plus rien, le passage est ouvert, la rue est dégagée,
je crois qu'ils se sont regardés, de cette façon, d'une autre,
à l'angle de la rue, il y a une poubelle et un sac plastique,
c'est une membrane, quelque chose tombe dedans,
quand je repense à la soirée d'hier par exemple c'est une membrane, différentes qualités du verre, des gestes parfois forcés qui expriment plus que ce qu'ils voulaient dire, et les objets qui viennent après coup se ranger, dans des membranes, et les uns à côté des autres, parfois dans la même poche, ou pas, mais les membranes sont translucides, on ne sait plus trop bien ce qui va avec quoi, les formes sont voisines, ça fait partie des formes de se confondre, et puis ensuite il y a les formes autour de l'objet et qui l'accompagnent, les soirées s'organisent, les vestes, bouteilles, se rejoignent dans des lieux qui sont différents et prévus à cet effet, un lieu pour un effet, sans compter l'effet général,
dans la soirée, il y a l'endroit des sacs, où l'on dépose les sacs, au début de la pièce en quelque sorte, à l'endroit où la pièce commence, avant de continuer en moment partagé, comme un lieu qu'on aura à traverser, ou pas, ce n'est pas obligé, l'endroit est disponible, l'endroit où l'on dépose les sacs est disponible, puis il est oublié jusqu'à plus tard, c'est le décor, c'est le périphérique, c'est ce qui aura été secondaire,
le secondaire, ce qui n'a pas frappé, c'est un reste possible à quelque chose,
je ne traverse pas, je continue plus loin, parce qu'une affiche a quelque chose que je veux voir,
d'un côté de la rue il y a
quelqu'un qui veut faire quelque chose, et de l'autre côté quelqu'un dit ce qu'il voit, et il y a quelqu'un qui attend en se massant la jambe, le haut de la jambe, le bas de la jambe,
quelqu'un qui attend quelque chose ou un autre quelqu'un, qui marche vers cet endroit à un rythme particulier, avec une membrane et un angle particulier sur ce qui ne se voit pas et qui l'accompagne,
la personne qui attend traverse l'espace,
elle traverse l'espace sans se déplacer, avec une envie de pincer et une envie de dire, et en même temps, une envie de partir, elle bouge, mais ne se déplace pas,
un homme assis sur un muret parle seul, il est dans un solo, un solo de parole,
il se pose des questions sur son existence,
où qu'il aille, il y a toujours quelqu'un, simplement debout,
dans une rue assez calme, en face de personnes qui sont attentives,
la salle est un lieu fermé, qui fait partie des lieux qu'on traverse du regard, qu'on ne traverse pas en vrai,
ce sont des lieux particuliers où quelque chose plutôt que rien se passe,
des lieux que nous ne traversons pas mais qui nous traversent,
n'importe quel espace peut faire office de « salle » ou « boîte » ou « cadre », que seulement le regard traverse, c'est une question de choix,
ça peut être dehors, et bouteille de coca, ballon de baudruche, canettes heineken, barquette de frites avec du ketchup, barquette de hamburger craquée, papiers de kebab, gras, froissés, orange jus de fruits Carrefour des stylos la mer, ce sont des emballages, qui portent à leur surface les indices évidents d'une activité, de groupe de gens qui parlent, et le bruit des indices, et traces, qui les ont traversés, ajoutés par le choc d'un objet contre un autre,
épaisseurs différentes en contact, chocs et frottements, tout ça se produit dans du temps, le contact des ronces, bruit des ronces dans du temps qui avance, le souffle du micro, c'est un enregistrement, une épine s'enfonce évidemment il se fait mal, respire un peu plus fort, sa respiration est irrégulière, un avion passe sur tout cela,
les jours fériés sont calmes, très calmes,
le bruit des avions qui passent en est d'autant plus fort,
il y a moins de voitures, moins de magasins, moins de passants, moins d'avions, il y a moins d'événements,
mais on les entend plus fort que d'habitude,
(amplification, bruit du vent, léger, bruit d'un homme qui monte, marches d'escaliers, bruit d'un homme, d'une femme, qui dorment, bruit d'un homme qui regarde en bas, trou dans le grillage)
(bruit de bouteille au sol) (bruit de quelqu'un qui siffle) (bruits de pas) (bruits des voitures) (bruits de sifflements se superposant)
nous sommes dans un tunnel, des pièces tombent des voix résonnent des enfants se chamaillent des pieds le ballon des voix se chamaillent une capsule de bière qui sert de ballon est verte il n'y a pas de ballon il tape dedans, un moment l'emmène un peu plus loin
avenue Pierre Sémard, avenue Maginot, rue Pavé d'Amour, des Quatre Cent Couverts, des Cinquante Otages, des Trente Cinq, il y a : du Mars, un portable, des chaussures, des allers et retours, un sac, un demi-tour, un contretemps, deux jeunes qui passent et changent de direction,
une fille en cuir tranquille regarde un peu à gauche, elle prend son temps, elle fait croire qu'on ne la voit pas, une voiture ralentit, l'homme s'installe en voiture, à peu près tous les gens qui sont là savent qu'ils sont regardés par les autres gens, et que ces regards sont peut-être attentifs,
un homme grand deux petits un qui siffle, et le mouvement des yeux, et un geste trop lent, trop impatient, une voiture qui stationne, qui fait du bruit, c'est très régulier, une sorte de gris général au niveau du ciel, un sur-place de
gris de mouton, de vidange, de contrôle, sorte de
voiture blanche avec un panneau indiquant le Nord, sorte de
maison avec cheminée, petite mais impressionnante, sorte de
bouquet de fleurs séchées dans un panier, tapis de sol, rectangle de pelouse en plastique, vert éclatant, comme neuf, un moulin à café, magnifique, c'est un faux, il ne sert à rien, lui aussi il est en plastique,
2m50 entre les deux filles, elles marchent à la même hauteur, l'une a les mains croisées derrière, l'autre les mains croisées devant, c'est un code qu'elles ont,
si elles s'arrêtent et parlent suffisamment longtemps il y a des chances pour que, progressivement, elles s'installent dans la même posture, que celle qui parle aura presque choisi, assez exactement, les gestes seront symétriques, ils s'adapteront à la conversation, miroir témoignant d'une disposition commune,
l'espace, la boîte, la membrane autour, un environnement, et l'effet général, qu'il faudrait voir d'un point de vue différent, est-ce que c'est possible, de 2m50 dans l'autre sens, perspective retournée, avec en gros plan la série soulignée des détails qui nous apparaîtront plus tard les plus intéressants, les plus frappants, une série de roses blanches, lourdes, qui se penchent par-dessus le mur,
lui une main dans la poche, elle regard sur elle-même, groupe de gens qui ne se regardent pas et parlent à toute vitesse, voient les fleurs blanches très vite passant très près du container, très vite c'est une simple tache blanche, un amas blanc, ils touchent le mur de briques, observent l'amas des feuilles, ski club, et je sors les bouteilles du sac, et les bouteilles sont vides, où le mettre ce foutu sac,
le sac est minuscule et presque transparent, mais il est mouillé, ce sont différentes qualités liquides un peu dégoûtantes, on ne peut pas être sûr, c'est le problème du sac, c'est ce qui reste, une fois les bouteilles au verre,
une membrane, une course
commence et deux chiens fous furieux se collent au grillage elle passe devant que se passe-t-il bruit de chiens qui aboient bruit des chiens qui reniflent bruits d'oiseaux en arrière-plan, bruits de voitures en arrière-plan, bruit de fermeture éclair de pas dans les feuilles d'eaux de frottements la chaussure râcle au sol, bruits du micro, heurté, de courses, accélération des chaussures, du micro, du vent, souffle du vent dans le micro, de voiture qui passe, des chaussures au sol, une voiture, k-way frotté contre un mur et morceau de plastique, glisse, au sol,
et un son musical, la musique à côté monte progressivement, bruit de quelque chose qui coule, comme du sable, des grains, des graines, rythme régulier de la marche, et la respiration, suivant le même rythme, est contrainte invisiblement par l'écoute et la marche, conduisant le marcheur à adopter ce rythme, à respecter ce rythme, on entend que la respiration s'adapte,
il y a des gens qui écoutent la radio, une série de gens, dans la pièce voisine,
à peu près tous les gens qui sont là savent qu'ils sont regardés par les autres gens, ou au moins visibles, en arrière-plan, entendus, écoutés à distance, pas vraiment d'assez près, quelqu'un chante, j'entends quelqu'un qui chante,
je crois qu'il y a quelqu'un qui chante, en faisant du nettoyage, ses courses,
il pousse un objet sur la table, aide à faire démarrer un camion en panne, deux personnes dans un camion, poussent, parlent, exagèrent, bruit des pas dans l'herbe, voix autour du sol, c'est inadmissible, c'est plus supportable, ça ne va pas, il va falloir trouver une solution,
il faut bien faire entendre qu'il y a les voitures, le bruit des voitures, partout, toujours, quelque part autour plus ou moins distant, l'instant des voitures, qui passent,
je rentre, j'enlève mes chaussures sur le sol marron, je vais dans le coin au fond, à gauche, quelqu'un d'autre entre, il souffle, il rentre, il est allé faire un tour, il revient de l'extérieur, il s'installe,
sa respiration prend un rythme plus lent, elle est encore lourde, un rythme moins violent, elle est encore profonde, il rentre, vide ses poumons, très progressivement, de l'air plus frais de l'extérieur, l'air du dehors et celui du dedans se mélangent, il est encore rempli de l'extérieur
été 2007
Guillaume Fayard
a publié Sombre les détails, éd. Le Quartanier, 2005. Sa traduction du livre Dépositions smithsoniennes & Sujet à un film de Clark Coolidge est à paraître en juin 2008 aux éditions Les Petits Matins.
Bande passante
texte de Esther Salmona sur Bande passante
notes de travail au cours de la création de Bande passante